dimanche 12 juin 2011

Balada triste


Fiche du film :
Réalisateur et scénariste : Alex de la Iglesia
Année : 2010
Genres : Drame / Comédie / Action
Acteurs principaux : Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang
Résumé : Dans une troupe de cirque ambulant, Javier, un clown triste, tombe amoureux de la belle acrobate Natalia. Le problème c'est qu'elle est la compagne de Sergio, un clown joyeux qui amuse les enfants, mais très violent en dehors du spectacle, surtout s'il a bu.

Avis sur le film :
Alex de la Iglesia était présent lundi dernier en France pour présenter son dernier film, et il a fait sa présentation, où il prévenait qu'il allait gâcher deux heures de notre vie, que nous allions haïr, et il nous autorisait à le taper après, de quoi se vanter par la suite d'un "j'ai tapé Alex de la Iglesia". Il annonçait aussi les thèmes du film, parmi lesquels la violence et l'humour, mais en précisant qu'il montrait finalement que l'humour, ce n'est pas quelque chose de drôle.

Le générique présente les divers logos des sociétés de production, et à l'apparition de chacun, des rires d'enfants se font entendre. On rit au bout d'un moment par contamination, mais aussi à cause de l'absurde de ce qui se passe, car après tout il n'y a rien de comique. Le procédé de démantèlement de l'humour a commencé ; on rit en effet, mais en se disant que ces esclaffements d'enfants, injustifiés par ailleurs, vont donner suite à un spectacle hors normes, connaissant le réalisateur.
Violence et humour sont à retenir avant tout, car ce sont deux thèmes faciles à lier, et qui se trouvent au centre du film, déjà rien qu'avec ces figures de clowns déviants.
Quand le film démarre, alors même que la face grimée farceuse est, dans son contexte, censée amuser les bambins face à elle dans le public, il y a déjà quelque chose de détraqué avec ce gros plan qui rend monstrueux et grimaçant le clown souriant.
 

Nombreux sont ceux que les clowns ont traumatisés étant enfants, l'actrice principale nous a confié qu'elle en faisait partie, et le film développe cette phobie en partant de quelques personnages du monde du cirque, normaux, jusqu'à ce que certains évènements les transforment en monstre, leur statut originel contrastant avec ce qu'ils sont devenus.
Alex de la Iglesia voulait faire un film avec un clown tueur depuis 15 ans, sur quelqu'un qui assassinerait des enfants qui ne riraient pas à ses blagues. Malheureusement, d'après le réalisateur, c'est impossible à faire... et tant pis car son film est déjà assez déjanté comme ça.
Il a vu une vidéo sur youtube avec le chanteur Raphaël grimé en clown et son "Balada triste de la trompeta", ce qui a donné le titre du film et toute la suite de l'intrigue qui s'est déroulée semble-t-il d'un coup dans la tête du scénariste.
Le métier de clown, au delà du simple caractère cocasse qu'il apporte aux situations, est assez bien exploré. Comme le dit l'un d'eux, "on ne devient pas clown par hasard", et dans le cas présent le héros veut perpétuer une tradition de famille. Alors qu'il le fait de son plein gré, il y a comme une pression que s'impose le personnage de lui-même pour faire comme ses parents, en voulant devenir précisément le clown joyeux, et non celui triste qui ne fait pas rire mais qui subit simplement. Il y a là-dedans une sorte de notion de destin, d'héritage transmis d'un clown à un autre, qui revient aussi quand, dans la salle de cinéma, Javier regarde sur l'écran un chanteur maquillé comme lui, et qu'il voit comme son père. Privé de son enfance et ayant vécu trop d'horreurs, le personnage cherche toujours à être comme son paternel, mais est condamné à être un clown triste.


Le réalisateur cherche aussi à explorer les origines de la violence, ce qui fait de quelqu'un un monstre. C'est assez mal développé, les racines du mal pouvant se retrouver dans des évocations de certains thèmes la plupart du temps vite évoqués par quelques lignes de dialogues qui passent presque inaperçues par la rapidité avec laquelle elles sont expédiées par les acteurs, sûrement pressés de par une pensée du montage de la part du réalisateur déjà sur le tournage, puisque ces scènes même où cela s'inclut sont trop courtes. On nous évoque donc des histoires d'amour et des disputes conjugales qui vont donner à Javier une chance à saisir, tout ça compréhensible dans ses grandes lignes essentiellement parce que ça a déjà été vu ailleurs.
Par contre, plutôt que les raisons, le film se plaît à montrer les conséquences d'un amour fou, et "fou" retrouvant ici sa signification première en même temps que désignant quelque chose d'insensé, puisqu'Alex de la Iglesia ne manque pas d'insister sur la brutalité à laquelle peut pousser la passion.
C'est rare de se dire ça de nos jours, après tout ce que l'on voit, mais ce film est d'une grande violence. Il parvient encore à faire réagir, et ce par divers procédés. Il y a ces passages où c'est en faisant marcher l'imagination seulement, aux moments où c'est nécessaire et possible sans que cela ressemble à un manque de moyens pour représenter visuellement ce qui nous est décrit, par des répliques comme "elle a implosé" ou "remets ses dents en place, tires plus fort".
Il y a ensuite un travail sur le son formidable, rendant compte de la violence d'une situation en l'amplifiant, ou en la créant tout simplement : que le personnage morde un canard n'est pas si dérangeant, jusqu'à ce qu'on entende le son qui y est ajouté.
Finalement, il y a une exagération dans la violence, en décuplant la force d'un personnage ou en faisant supporter à d'autre des coups auxquels il serait impossibles de survivre dans la réalité, et pourtant il n'y a rien de comique ni de ridicule, le dosage est assez bon pour que l'on souffre pour les victimes.

 
Alex de la Iglesia va à fond dans son trip, apparemment il a eu les moyens pour, et ne fait pas de compromis, bien heureusement.
Parallèlement, il va aussi plus loin dans la précision de sa mise en scène, qui est plus appliquée que dans ses précédents films. Iglesia utilise des CGI pour reproduire ce qu'il n'a pu filmer comme évènement ou comme lieu, de nombreuses corrections colorimétriques au début pour rendre l'image grisâtre, mais en tout cas l'usage n'est pas abusif, contrairement à d'autres films. Par contre en dehors de ça, il y a des plans subtilement pensés. La première apparition de Natalia est présentée de sorte à la faire paraître sortir d'un songe, sans pour autant oublier de donner une justification réaliste à cette vision. Sur le même thème de la sublimation, l'actrice est à disposition du réalisateur pour réaliser un fantasme purement onirique, lorsque dans une scène de rêve, telle une déesse, elle est couverte de quelques voiles qui couvrent ses parties intimes en même temps qu'ils montrent le reste, formant ainsi un procédé d'érotisation et d'idéalisation totalement irréel et magnifique.
Dans un autre contexte que la beauté, il y a cet élément visuel qui a laissé une trace sur le décor, à savoir le poulet écrasé sur la vitre, justifié par le fait qu'il ait fait partie de la mise en scène d'une blague précédemment, et qui reste apparent dans les scènes d'après, notamment lors du retour du clown violent vers sa femme, et conserve ainsi une tension présente à l'image en rappellant ce qui s'est passé.
La scène antérieure évoquée ci-dessus est une parfaite illustration de ce que voulait dire le réalisateur : la blague chargée en humour noir fait rire par la mise en scène excessive du personnage, qui mime l'histoire macabre qu'il raconte, et on rit là encore en se demandant s'il le faut ou non, le film jouant quelque peu sur cette violence qui fait éclater de rire, et qui peut devenir dramatique avec seulement un petit renversement de situation. Parfois au sein d'une même scène nous pouvons vouloir s'esclaffer et se retenir d'anxiété juste après : c'est le cas lors du lancer du bébé, Alex de la Iglesia arrivant parfaitement à nous manipuler à ce moment là.

 
Doivent aussi s'ajouter à l'humour et la violence, surtout par rapport à ce dernier élément, le sexe et l'amour, eux aussi évoqués par le réalisateur lors de sa présentation. Des films comme Hellraiser ou Dellamorte dellamore l'avaient déjà fait remarquer : un lien fort peut se créer entre la douleur et le plaisir, lors de scènes de sexe où il arrive que la frontière entre les deux soit fine. C'est plutôt bien rendu dans Balada triste dans une scène adjacente à celle du poulet, où la violence se transforme en jeu sexuel, avec en plus de cela une ironie dramatique qui souligne la souffrance du héros. Le réalisateur arrive en tout cas à réutiliser ces thèmes mais en y ajoutant quelque chose qui change la donne.
Un délire assumé et poussé suffisamment loin, une séquence de guerre entre militaires et gens du cirque très plaisante, de nombreuses bonnes idées, ... mais il y a une scène particulièrement marquante, renforçant ce qui a été évoqué : la scène de transformation physique de Javier, qui ne se grime plus en clown mais devient clown, métamorphose non seulement d'une grande violence et d'un jusqu'au-boutisme fou, mais qui concentre aussi plusieurs idées déjà évoquées, dont la démence poussée à bout, les actes insensés provoqués par des sentiments comme l'amour, et cette obsession et à la fois tourment et malédiction de devoir être un clown.
Après ce passage, il y a trop de poursuites et d'affrontements tous deux vains, d'hésitations de la femme face à l'engagement dément des hommes qui sont après elle, et de rebondissements dans les évènements ainsi que dans les décisions et sentiments incertains des personnages, et plus particulièrement Natalia, finalement conquise malgré, ou grâce à, la folie déployée par le héros à cause de son amour pour elle. Et peu importe s'il est devenu un psychopathe qui s'est transfiguré de son plein gré.
Ce n'en est pas fini pourtant, et l'action continue à traîner, non plus à cause des tentatives de conquête par l'un ou l'autre des personnages, mais maintenant à cause de leur affrontement pour obtenir la même femme, qui tire trop en longueur pour sensibiliser par rapport à ce qu'il se passe. Et si le public réagit quand même à un moment, pris d'inquiétude même, c'est en prévision d'une souffrance extrême que va subir un personnage d'ici peu, et qui nous projette déjà dans une empathie avec lui, en s'imaginant à quel point ça va faire mal. Et ça fait mal, en effet, là encore grâce au travail du bruitage.


Il fallait attendre la fin pour voir si elle allait rattraper certains défauts. La toute dernière scène est extrêmement simple, en réalité, mais pourtant si forte, ce qui tire effectivement un peu plus le film vers le haut.
Alex de la Iglesia avait parlé d'une métaphore de ce qu'était l'Espagne en 1973, sorte de grand cirque, mais cela reste obscur à la vision de l'oeuvre en elle-même. Il présente bien deux camps qui s'affrontent, et d'après ce qu'il avait dit, il offrait une solution dans son film à ce genre de confrontation, qui selon ses dires était basée sur l'acceptation de la différence, et non pas en incluant seulement deux groupes mais bien plus. On ne retrouve pourtant pas ce message de tolérance dans le film, ni de solution quelconque ; on y voit simplement une dénonciation de tout conflit, qui mène à la perte des deux adversaires.
 
Bande-annonce VOST :

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