dimanche 19 juin 2011

A Serbian film [Mise à jour]

Il existe de ces films dont on ne peut se rendre compte du pouvoir immédiatement, et dont la force réside dans sa capacité à faire travailler le spectateur longuement après l'avoir délaissé.
A Serbian film en fait partie, la réaction première après sa vision ne correspond pas à ce qui ressort d'une réflexion plus poussée sur ce qu'est exactement cette oeuvre unique, ainsi une mise à jour de l'avis précédent publié sur ce blog se devait d'être faite, et ce en regroupant ce que l'on peut voir dans le film en lui-même mais aussi au-delà.


Ancien article :
http://mayhemcinema.blogspot.com/2010/08/serbian-film.html

New and improved :
Ancien acteur porno qui s’est retiré maintenant qu’il a une famille, Milos (Srdjan Todorovic) s’est récemment vu offrir un nouveau travail par une ancienne collègue désormais reconvertie dans l'animalier. Il n’aura qu’à faire ce qu’il a toujours si bien fait, en échange de quoi un réalisateur peu enclin à dévoiler le sujet de son œuvre lui donnera assez d’argent pour qu’il n’ait pas à se soucier de ses finances jusqu’à la fin de sa vie.

En suivant les instructions qui lui ont été données, Milos monte dans le véhicule d’un chauffeur patibulaire qui reste muet durant tout le trajet. Arrivé sur le lieu de tournage, un orphelinat, et à peine descendu du véhicule, l’acteur est déjà filmé par un jeune homme mâchant impassiblement son chewing-gum, sans mot dire. Milos sent qu’il doit y avoir une embrouille, il s’en doute depuis qu’il sait quelle somme on va lui offrir, mais tandis qu’il entre dans la gueule du loup sous le regard froid de la caméra qui le suit partout, seul le spectateur peut envisager l’ampleur de ce qui se prépare.

Les personnages ne le perçoivent pas, mais le public peut remarquer que le désir de choquer est omniprésent, et ce dès la première scène, avant même que le film n’entre dans le vif de son sujet.
Il y a d’abord un aspect ordinaire dans la représentation de la cellule familiale, qui peut être raccrochée à la réalité par les petites attentions entre Milos, sa femme, et leur fils, mais elle est de suite souillée par l’introduction régulière d’éléments-coup-de-poing : le frère de Milos qui désire la femme de ce dernier, ou l’enfant qui voit un des films de son père et qui le questionne dessus plus tard, sorte d’équivalent de nos « papa, comment on fait les bébés ? » en plus indélicat.
Le film suit une progression constante vers le trash, et après cette incursion dans la vie de famille de l’ex-star d’Acockalypse now, déjà chargée en évocations du thème sexuel, à se demander d’ailleurs s’il y a une scène dans le film qui en soit dépourvue, le tournage du snuff s’occupe de prendre le relais.

Le réalisateur, Vukmir Vukmir, est une source inépuisable de répliques qui sont des perles d’obscénités lancées au hasard, et si parfois il est pertinent en évoquant certains aspects de l’industrie dans laquelle Milos travaille, la plupart du temps ses paroles sont l’occasion de rire tout en étant atterré : « The unique magic of rigor mortis ».
Son discours se pare d’un certain sérieux dans sa façon d’énoncer ses intentions artistiques, similaires à celles de Burt Reynolds dans Boogie nights en plus glauque. En accumulant ses idées, Vukmir crée des liens entre elles, son propos ayant donc du sens pour lui avec cette idée de livrer des innocents déshonorés sur un écran.
L’acteur, Sergej Trifunovic, est totalement pris par son rôle, soit austère pour donner du poids à ce qu’il dit, soit complètement emporté par la démence du projet de son personnage, qui ne conçoit pas qu’on puisse ne pas comprendre son projet. Il n’empêche que quoiqu’il fasse ou dise, son entreprise ne peut être défendue par Milos ou le spectateur, trop insensée et immorale qu’elle est, voire risible lorsqu’il dit que son acteur est la preuve qu’il y a de l’art dans la pornographie. Du moins il y a de quoi rire jusqu’à ce que nous arrivions à un certain point où la gravité de la situation fait qu’on ne peut plus autant prendre avec humour les répliques décalées, aussi grotesque qu’elle soient.

En suivant essentiellement le parcours de Milos jusqu’à ce qu’il se rende vraiment compte de ce qu’il se passe, le scénario se montre assez simpliste, toutefois ce défaut ne se fait pas trop sentir, puisque le film réussit à étirer cette trame dans le temps. La prise de conscience complète du personnage principal est retardée, notamment par la disposition de scénettes qui rendent compte au jour le jour de l’avancée du tournage, qui n’a au départ rien de particulièrement anormal pour un acteur expérimenté comme Milos.
Le film souffre par contre d’incohérences dans son récit, qui peuvent déjà concerner l’existence du cercle snuff, mais surtout le fait que les hommes de main de Vukmir puissent tuer des passants en pleine rue sans se poser de questions.
Il est probable qu’à force de se fixer comme but de choquer à tout moment, le scénario en est handicapé, puisque certains twists sont prévisibles, et les auteurs ont aussi tendance à oublier la construction dramatique autour du héros, dont on ne se sens jamais vraiment proche, et sans laquelle certains des drames dont le personnage est victime peuvent laisser indifférent.
A Serbian film n’est pas pour autant bâclé, du moins il ne l’est pas concernant sa réalisation. Certains plans disposent d’un bel éclairage, et du reste l’ambiance visuelle terne n’est pas trop caricaturale, contrairement à d’autres films qui abusent de la correction colorimétrique en post-production.
Concernant les idées de mise en scène, toujours dans une optique de perturber le spectateur, le réalisateur a su trouver des procédés malins pour le faire participer d’autant plus aux atrocités qu’il voit, que ce soit par des flashs qui impriment furtivement des images malsaines sur notre rétine, ou des plans qui correspondent visiblement à ce que tournent les cameramen du film dans le film, comme si le public était emmené malgré lui au sein du snuff.
Au lieu d’imposer ses idées avec lourdeur, c’est par ce genre d’astuces que le film cherche à signifier, sans que le spectateur ne s’en rende forcément compte, ce qui est probablement plus vicieux.


A Serbian film a attiré l’attention dès sa sortie dans divers festivals, de par la réaction de critiques révoltés, mais aussi le fait que des projections aient provoqué vomissements et évanouissements, dont un cas particulier où quelqu’un se serait cassé le nez en tombant.
Une rumeur a circulé comme quoi le film avait été produit avec l’aide du gouvernement Serbe, une erreur que le réalisateur a corrigé, en précisant que son œuvre a été confondue avec une autre production de son pays, Life and death of a porn gang.
La Serbie a mauvaise presse depuis le massacre de Srebrenica, perpétré au cours de la guerre de Bosnie-Herzégovine, et ce n’est pas avec des films pareils que son blason va être redoré, surtout qu’un titre comme « A Serbian film » joue la carte de la provocation, comme s’il s’agissait après tout d’ « un film serbe » parmi d’autres.
Il est donc naturel que le gouvernement ne cautionne pas un produit pareil, mais néanmoins, comment les auteurs défendent-ils leur création ?
Selon les occasions, il s’agit tantôt d’une critique sur le pouvoir de dirigeants capables de pousser à faire ce qu’on ne veut pas, tantôt une métaphore de la violence qui sévit dans le monde, tantôt une parabole dénonçant le fait que les fonds pour le cinéma en Serbie sont attribués à des soi-disant « artistes », prisonniers du politiquement correct, qui se conforment à des comédies ou mélodrames afin de vendre ce que le grand public attend.

Ces explications, que ce soit sciemment ou non, dissimulent un message qui ne va pas chercher aussi loin et qui se trouve réellement présent, de façon visible, dans le film.
Si le spectateur pense avoir de l’avance sur Milos lorsqu’il arrive sur le lieu de tournage, ce qu’il ignore c’est que lui aussi est observé par la caméra, l’introspection s’appliquant également à lui, puisqu’il ne fait pas que regarder le film, mais l’écran aussi pose sur nous un regard, prêt à juger.
Nous pouvons le remarquer dans la scène où Milos, drogué par ses tortionnaires, titube dans un magasin où il tombe sur un stand de boucher et sur un présentoir rempli de magazines X : le sexe et la violence sont omniprésents dans notre société contemporaine, disposés sous nos yeux chaque jour.
Justement, si un film comme celui-ci est possible, c’est parce que les deux éléments qui sont à sa base sont déjà acceptés par tous au quotidien ; A Serbian film ne fait que les pousser à leurs extrêmes, ce qui peut décupler aussi bien le plaisir que le dégoût.
Il est ainsi douloureux de se décider à apprécier ou non le film, celui-ci faisant se battre à mains nues l’homme civilisé et la bête qui se trouve en chacun de nous de façon bien plus violente que Fight club.
C’est là aussi l’histoire de Milos dans le film : un homme qui a voulu oublier son passé sauvage, un temps où, devant la caméra, il en revenait à un état où seuls les envies primaires comptaient. Seulement il lui suffit d’une gifle de sa femme pour que l’animal ressurgisse, et c’est cet aspect enfoui en lui que le réalisateur Vukmir veut faire apparaître au grand jour, lui inoculant un produit aphrodisiaque qui le transforme en une bête qui ne pense que par le bas-corps et qui efface presque totalement l’être policé. Milos lutte pourtant désespérément contre sa bestialité, quitte à devoir pour cela couper son instrument de travail.
Il se passe quelque chose de similaire devant l’écran, plus assurément chez les membres masculins du public, puisqu’il y a de quoi être écartelé entre la jouissance permise par les images et la gratuité complètement immorale avec laquelle elles sont disposées dans le film.
Car en dehors de la seule scène véritablement révoltante, celle dont l’intention est réellement de révulser n’importe quelle personne sensée en incluant de la pédophilie, A Serbian film propose tout simplement d’aller plus loin dans la monstration de ce qui est déjà accepté et apprécié par le public mâle contemporain.
Le conflit intérieur évoqué est de plus résolu par le fait que cette œuvre ne franchit pas la limite ultime, qui métamorphoserait réellement la satisfaction en aversion : celle entre réalité et fiction. Et c’est d’ailleurs par ce goût pour l’excès de la part des cinéastes, qui déréalise leur spectable, que l’on reconnaît la différence.

Ce qui distingue A Serbian film d’un Cannibal holocaust, c’est qu’il n’affiche pas aux yeux de tous et avec prétention son message de dénonciation de la violence, et qu’il ne se sert pas de brutalité réelle pour le faire, contrairement à Ruggero Deodatio qui avait tué des animaux.
Il serait difficile de dire que le film Serbe en question fasse preuve de subtilité, car ce terme serait peu approprié pour décrire une œuvre comme celle-ci, mais en tout cas il livre son message de façon implicite, avec une réalisation qui sait habilement suggérer.
A Serbian film a de quoi perturber, et ce non pas seulement par ses images crues mais aussi par ce qu’il provoque en nous comme réaction, à notre insu, afin de pousser plus tard à s’interroger.
Malgré ses défauts, A Serbian film a du mérite pour ce qu’il parvient à faire vivre au spectateur, pour se greffer à son inconscient et revenir plus tard le hanter par ce qu’il pose comme questions sur l’animalité propre à l’humain.

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